La politique à la mode

Article publié dans le magazine Clin d'oeil - dèc. 2020, par Marouchka Franjulien



Tour à tour emblème de pouvoir et symbole contestataire, le vêtement, miroir social de son époque, est un puissant outil de communication. De la tenue des suffragettes aux baskets de Kamala Harris, gros plan sur une guerre de l’image qui se joue sur le terrain – à priori frivole – de la mode!


Lors de la Semaine de la mode de New York printemps-été 2021, présentée en septembre dernier, le créateur Christian Siriano a appelé les Américains à voter en masse pour élire le futur président. Plutôt qu’une entrevue télévisée ou un tweet, le designer a privilégié ce qu’il sait encore faire de mieux pour transmettre son message: dévoiler sur la passerelle une robe fourreau noire, chic et glamour, couverte du mot «Vote», et accessoirisée d’un chapeau et d’un masque assortis. Le message, clair et concis, n’est pas passé inaperçu. C’est que le vêtement, au-delà de son aspect pratique ou tendance, peut aussi être un moyen d’exprimer une idée ou une idéologie, de faire de la propagande ou de manifester contre le pouvoir établi. Comment la mode a-t-elle investi (avec style) la sphère politique? On fait le point, d’hier à aujourd’hui.

Des lois somptuaires aux merveilleuses

Si la tenue permet de véhiculer un message, elle peut aussi être brimée et codifiée par le pouvoir en place. Dans la Rome antique, déjà, la garde-robe des citoyens – qui avaient par ailleurs l’exclusivité du port de la toge! – était réglementée. Seule l’élite avait droit de s’afficher en pourpre, une teinte onéreuse difficilement obtenue à l’aide de mollusques (on vous passe les détails), tandis que la loi Oppia interdisait aux femmes d’enfiler trop de bijoux à la fois ou d’avoir des robes de plus d’une couleur – un luxe à l’époque! – afin de ne pas gaspiller l’argent destiné à financer les guerres. Ces lois dites somptuaires, qui dictent l’apparence tout en réfrénant l’extravagance, ont évolué au fil des époques. Au 16e siècle, dans l’Angleterre élisabéthaine, la soie, le satin et le velours étaient notamment réservés à la classe dominante. Le but? Empêcher la bourgeoisie, de plus en plus riche, de s’habiller comme la noblesse et de brouiller ainsi l’ordre social. Et si ce genre de lois nous semble aujourd’hui désuet, il suffit de faire un tour (ou pas) en Corée du Nord pour voir le régime totalitaire interdire encore la minijupe et le bas résille, jugés antisocialistes. Dans les rues de Pyongyang, la capitale, les jeunes Coréennes n’hésitent pourtant pas à briser discrètement les codes, en raccourcissant leurs jupes – l’uniforme privilégié pour les femmes – et en osant les talons hauts, choses impensables il y a 10 ans. C’est que le vêtement est récemment devenu la manifestation silencieuse d’une rébellion, un moyen d’échapper au joug de la dictature qui conditionne toutes les facettes de la vie nord-coréenne...

La mode, libératrice? C’est ce qu’ont compris, au 18e siècle, les Incroyables et les Merveilleuses. À la fin de la Terreur, époque sombre qu’a marquée la Révolution française, ces jeunes aristocrates ont choisi de célébrer un certain retour à la normale en s’habillant de façon extravagante. Quand les hommes dégageaient leur nuque pour rappeler la coiffure des condamnés à mort, les Merveilleuses, elles, se drapaient de tuniques et de robes légères, quasi transparentes, inspirées de celles que portaient les statues de la Grèce antique. Quant à la lettre «r», qui leur rappelait cet odieux mot «révolution», elle était tout simplement bannie du langage, notamment dans les «bals des victimes», où les invités, habillés en tenue de deuil, devaient montrer patte blanche... en prouvant qu’un de leurs parents était bel et bien mort sous la lame de la guillotine (on n’imagine pas l’ambiance)!

Un symbole féministe

«Qui culotte a, pouvoir a», disait un (très) vieux dicton avant que le pantalon ne vienne remplacer la culotte, à la fin du 18e siècle. Est-ce pour cette raison qu’on a interdit aux Françaises, dès 1800, de porter ce vêtement (une loi qui sera enfin abolie... en 2013)? Certaines, comme l’écrivaine George Sand ou la peintre Rosa Bonheur, n’hésitaient pas à défier les conventions – et le patriarcat – en adoptant des tenues typiquement masculines. De fait, la mode est un moyen efficace de contredire l’ordre établi... et de manifester! 


À l’aube du 20e siècle, les suffragettes britanniques de la Women’s Social and Political Union, qui revendiquaient le droit de vote des femmes, ont compris l’importance de se créer une image de marque pour se faire remarquer et pour encourager des consoeurs à se joindre à leur cause. Comment? En embrassant trois couleurs symboliques: le blanc, synonyme de pureté, qui se démarquait dans la foule (à l’époque, les robes de cette nuance étaient aussi les moins chères, ce qui permettait à toutes les femmes d’endosser l’uniforme); le violet vibrant pour la dignité et la loyauté, en contraste avec les teintes douces qu’on associait alors à la féminité; et le vert, pour l’espoir. 


Encore aujourd’hui, le violet continue de faire son apparition lors des manifestations féministes à travers le monde, comme le blanc, qui trouve une place spéciale dans la sphère politique américaine. En 2017, Hillary Clinton a opté pour une tenue virginale lors de l’inauguration présidentielle de Donald Trump, tout comme les élues démocrates de la Chambre des représentants, en 2019, pour souligner le centenaire du mouvement des suffragettes.

Après l’élection du milliardaire américain, une autre couleur a fait son apparition lors des Women’s Marches, des manifestations féministes organisées un peu partout dans le monde: le rose, qui rehaussait une multitude de bonnets aux oreilles de chat, les pussyhats, symboles antimisogynes et anti-Trump face à la casquette «MAGA» rouge, privilégiée par les partisans républicains.

La mode résistante

Dans les années 60, le Black Panther Party se battait pour les droits des Noirs aux États-Unis, dans une société marquée par le racisme systémique. Blouson et pantalon noirs, chemise bleue, lunettes de soleil, béret militaire et cheveux coiffés en afro... 


Pour les membres de cette organisation révolutionnaire, l’uniforme était un moyen d’affirmer leur présence et de montrer un front uni, tout en célébrant la beauté noire devant les diktats esthétiques blancs. Le parti a fini par être démantelé dans les années 70, mais la tenue des Black Panthers – tout comme le poing levé – reste, encore aujourd’hui, l’image prédominante de ce mouvement politique et social. 


Lors du Super Bowl de 2016, Beyoncé et sa troupe de danseurs – coiffés de bérets – lui ont d’ailleurs rendu hommage au rythme de Formation, une chanson qui fait allusion aux manifestations contre les violences policières envers les Noirs aux États-Unis. 

Autre symbole de manifestation? Le pull à capuche. Créé dans les années 30 par la future marque Champion, le hoodie a été adopté au cours des décennies 70 et 80 par les graffeurs et les skateurs. Ils aiment son capuchon, qui leur permet de préserver l’anonymat. 


Mais en 2012, le vêtement trouve une nouvelle symbolique: celle des inégalités raciales aux États-Unis. Le 26 février, Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans, est assassiné par George Zimmerman, qui a alerté la police un peu plus tôt pour signaler une personne suspecte dans son quartier. En cause? La couleur de peau de Trayvon... mais aussi son hoodie noir selon Fox News, qui blâme la tenue du jeune homme d’être la cause secondaire de son meurtre. Quelques semaines plus tard, des manifestations, baptisées «Million Hoodie March», sont organisées pour demander l’arrestation de George Zimmerman. Des centaines de personnes défilent, vêtues d’un pull à capuche.


Un arme politique

À l’ère d’Internet, une image vaut mille mots. En France comme ailleurs en Europe, les gilets jaunes qui manifestent depuis 2018 pour différentes causes en enfilant un dossard fluo, facilement reconnaissable dans les médias, l’ont bien compris, tout comme la joueuse de tennis japonaise, Naomi Osaka, qui continue de montrer son soutien contre les brutalités policières américaines par le port de masques à messages lors de ses compétitions sportives. Quant à la candidate démocrate à la vice-présidence américaine, Kamala Harris, qui a fait campagne en Converse noires, ses chaussures ont affolé la twittosphère. La sénatrice de la Californie s’est amusée de cet émoi en publiant sur Instagram une vidéo d’elle sortant d’un avion, Chuck Taylors aux pieds. «Lacée et prête à gagner», a-t-elle lancé aux internautes. À chaque pas, ses baskets semblaient véhiculer sa position progressiste et apporter un vent salutaire de changement. La marque Converse s’est d’ailleurs empressée d’applaudir la candidate.


Mais que se passe-t-il lorsqu’un parti politique ou un groupe idéologique revendique une marque sans son consentement? New Balance, dont les souliers sont privilégiés par certains cercles néonazis américains, en a récemment fait les frais, tout comme Fred Perry et son polo à col rayé jaune, qui est devenu l’uniforme officiel des suprémacistes blancs Proud Boys, au grand dam de la griffe, qui a préféré retirer le vêtement de ses rayons. Le vêtement peut être un acteur de changement à l’image de son temps, une arme révolutionnaire contre le pouvoir dominant ou le témoin de ce qu’une société a de plus abject. Bref, quand la mode fait dans la politique, elle ne laisse personne indifférent!

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